CABINET D’AVOCAT À LYON EN DROIT DES VICTIMES
ET RÉPARATION DU PRÉJUDICE CORPOREL

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Qu’a répondu le Conseil d’Etat aux associations de victimes ?
L’Ordonnance du 15 avril 2020 n°439910

La crise sanitaire mondiale provoquée par le COVID-19 soulève en France de nombreuses questions éthiques et juridiques notamment dans les secteurs médico-sociaux et sanitaires.

Dans ce contexte, le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) a été saisi à plusieurs reprises par le Gouvernement.

Dans son avis du 13 mars 2020, le CCNE a répondu que « les décisions qui seront prises, « quelle qu’en soit la nature, doivent répondre à l’exigence fondamentale du respect de la dignité humaine », c’est-à-dire que la valeur individuelle de chaque personne doit être reconnue comme absolue. »

Il a en outre précisé qu’en « situation de restriction des ressources, sélectionner les personnes à protéger en priorité en fonction de leur seule valeur « économique » immédiate ou future, c’est-à-dire de leur « utilité » sociale n’est pas acceptable : la dignité d’une personne n’est pas tributaire de son utilité. Ainsi, dans une situation de pénurie de ressources, les choix médicaux, toujours difficiles, seront guidés par une réflexion éthique qui prendra en compte le respect de la dignité des personnes et le principe d’équité. »

Mais qu’en est -il des contraintes de terrain ?

Peut-on dénoncer sur un plan juridique l’existence d’une « discrimination en fonction de l’état de santé du patient ou de son âge » ?

Les problématiques médicales induites par le coronavirus entrainent des questions de droit inédites auxquelles le Conseil d’Etat doit répondre dans l’urgence.

Cette juridiction a été saisie à ce titre de plus de 100 recours en l’espace d’un mois, dont 80 en référé.

 

Dans ce contexte, le Conseil d’Etat en date du 15 avril 2020 vient de rendre une décision par Ordonnance visant notamment la situation très sensible des EHPAD et des personnes malades à domicile.

En l’espèce, deux associations, Coronavictimes et Comité anti-amiante Jussieu, ainsi qu’une personne physique, ont saisi le Conseil d’Etat d’un référé liberté sur le fondement de l’article L.521-2 du code de justice administrative.

Cette saisine avait pour objet d’enjoindre à l’Etat de prendre diverses mesures concernant les personnes âgées résidant en EHPAD, et les malades à domicile, atteints du Covid-19.

Les requérants souhaitaient que l’Etat :

– Etablisse un protocole national pour l’admission dans les établissements de santé des personnes susceptibles d’être atteintes d’une forme grave du Covid-19, notamment les résidents en EHPAD ;

– Assure à ces personnes vulnérables un accès aux soins palliatifs et la présence d’un de leur proche en cas de fin de vie ;

– Impose la réalisation d’un test de dépistage sur toutes les personnes décédées à domicile ou en EHPAD ;

– Prenne des mesures pour que soit inscrit dans le dossier médical des personnes atteintes du Covid-19 si elles n’ont pas pu être admises dans un établissement de santé ou en service de réanimation ;

– Rende public chaque jour le nombre de personnes décédées du Covid-19 n’ayant pas eu accès à un établissement de santé ou un service de réanimation.

 

Sur l’accès aux soins de réanimation et aux établissements de santé d’une manière plus générale, le Conseil d’Etat a considéré qu’il n’existait aucun élément objectif permettant de démontrer que les personnes âgées résidant en EHPAD sont exclues des établissements hospitaliers et plus particulièrement des services de réanimation.

Le juge des référés a considéré que l’ensemble des recommandations émises par les sociétés savantes démontrent à l’inverse que tout devait être mis en œuvre pour permettre l’accessibilité du service hospitalier aux résidents d’EHPAD.

 

S’agissant de l’accès aux soins palliatifs, le juge a relevé que l’arrêté du 1er avril 2020 prescrivant les mesures d’organisation et de fonctionnement du système de santé facilite l’intervention des équipes mobiles de soins palliatifs aux seins des EHPAD et à domicile.

Il précise par ailleurs que les décrets du 28 mars et du 14 avril 2020 (ce dernier étant donc intervenu après le dépôt de la requête), permettent, par dérogation au code de la santé publique, la dispensation du paracétamol et du « Rivotril » sous forme injectable.

 

S’agissant du droit des résidents des EHPAD de recevoir la visite d’un de leurs proches, le juge a relevé que des visites exceptionnelles pouvaient être accordées, et a précisé que le Président de la République confirmait ces mesures lors de son allocution du 13 avril 2020 (postérieure au dépôt de la requête).

Une fois encore, le juge a écarté la demande des requérants considérant qu’il n’existe pas d’atteinte manifestement disproportionnée à une liberté fondamentale.

 

Enfin, concernant le dépistage des résidents décédés suite à une symptomatologie évocatrice du Covid-19. Cette mesure devait permettre à la famille du défunt de connaitre les causes du décès, conformément au droit au respect de la vie privée et familiale, et de pouvoir faire valoir leurs éventuels droits en justice, conformément au droit de propriété et au droit à un recours effectif devant un juge.

Le juge des référés, par une argumentation qui n’emporte pas tout à fait la conviction, a considéré que l’absence de mention de la cause du décès sur le certificat de décès ne faisait pas obstacle à ce que les ayants droits puissent connaître des causes de la mort et de faire valoir leurs droits en justice.

En effet, si la famille souhaite connaître les causes du décès, elle doit solliciter une autopsie.

Néanmoins, elle n’a pas accès au corps du défunt puisque celui-ci reste extrêmement contagieux. La mise en bière est immédiate en cas de suspicion de décès lié au Covid-19, il est ainsi difficilement envisageable que les médecins légistes assureront cette demande.

En somme, le juge des référés a considéré que l’Etat avait rempli l’intégralité de ses obligations afin de garantir la protection de la santé de ses citoyens, et que les mesures prises étaient nécessaires, adaptées et proportionnées.

 

***

Cette décision, même de rejet, confirme le rôle essentiel des associations dans la défense des droits des malades.

Les associations Coronavictimes et Comité anti-amiante Jussieu ont pu saisir le Conseil d’Etat grâce à l’article 6 de la loi du 1er juillet 1901 permettant à une association d’agir en justice en lui octroyant la personnalité juridique.  (Pour cela, l’association doit être régulièrement déclarée et ses statuts doivent avoir été publiés au Journal Officiel).

Les requérants ont en l’espèce usé de la faculté de saisir le Conseil d’Etat en urgence dans le cadre de ce qui s’appelle un référé-liberté.

C’est l’article L.521-2 du code de justice administrative qui énonce les conditions du référé-liberté.

Pour que la saisine soit recevable, la situation doit requérir un caractère d’urgence, qui est apprécié in concreto, en fonction des circonstances de l’espèce. Ici le caractère d’urgence ne fait pas débat.

 

Par ailleurs, une ou plusieurs libertés fondamentales doivent être invoquées par les requérants. Cependant, toutes les libertés ne sont pas invocables au titre du référé-liberté de l’article L.521-2 du code de justice administrative.

En l’espèce, le juge considère que le droit au respect de la vie, invoqué par les requérants, est une liberté fondamentale au titre de l’article susvisé.

Par un raisonnement en cascade, il rattache le droit de toute personne de recevoir les traitements et les soins appropriés à son état de santé au droit au respect de la vie lorsque l’atteinte risque d’entrainer une altération grave de la santé de la personne, et au droit au respect de sa dignité.

Constituent également des libertés fondamentales le droit au respect de la vie privée et familiale, le droit de propriété et le droit à un recours effectif devant un juge.

En l’absence de liberté fondamentale invocable, le juge déboute le requérant, comme il a eu l’occasion de le faire s’agissant des mesures de transparence sollicitées par les requérants.

 

De plus, une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public doit porter une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté fondamentale.

Afin d’apprécier le caractère manifestement illégal de l’atteinte, le juge prend en compte les moyens dont dispose l’Etat et les mesures déjà prises. Les critères d’appréciation sont extrêmement importants puisque c’est ce qui oriente la décision du juge des référés.

Il est intéressant de noter que le juge des référés, dans l’ordonnance du 15 avril dernier, rappelle qu’il appartient aux autorités compétentes, « en particulier au Premier ministre, de prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l’épidémie ».

Le droit à la protection de la santé est donc un droit-créance. Le Conseil d’Etat peut en conséquence enjoindre à l’Etat, débiteur de cette obligation, de prendre les mesures nécessaires pour le garantir.

1/ Le droit à la protection de la santé

Ce droit est protégé par l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946, qui dispose que « La Nation garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ».

Le droit à la protection de la santé a acquis une valeur constitutionnelle depuis le célèbre arrêt du Conseil constitutionnel n°74-54, du 15 janvier 1975, Loi IVG.

L’article L.1110-1 du code de la santé publique vise par ailleurs spécifiquement « le droit fondamental à la protection de la santé ».

L’article L.1411-1 du même code précise que « La Nation définit sa politique de santé afin de garantir le droit à la protection de la santé de chacun.

La politique de santé relève de la responsabilité de l’Etat. ».

Le Conseil d’Etat ne fait donc qu’affirmer ce droit préexistant.

Les mesures prisent pour sauvegarder ce droit peuvent cependant limiter l’exercice d’autres droits et libertés fondamentaux, c’est la raison pour laquelle elles doivent être « nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent. »

Le droit à la protection de sa santé nécessite que les établissements de santé soient accessibles à tous et qu’ils assurent des soins adaptés.

 

2/ Le droit à un accès effectif aux soins

Le droit à un accès effectif aux soins est consacré à plusieurs reprises au sein du code de la santé publique (articles L.1110-1 ; L1110-5 et L.1411-1). Cet accès, puisqu’effectif, ne doit pas être discriminatoire (articles L.1110-3 ; L.6112-1 ; L.6112-2 3° du même code). Toute personne doit pouvoir avoir accès aux soins, peu importe son âge, son état de santé, sa couverture maladie etc.

En l’espèce, les requérants faisaient griefs à l’Etat de ne pas assurer un accès effectif aux établissements de santé et en soins de réanimation pour les personnes résidant en EHPAD.

A ce titre, le journal Le Monde rapporte, dans son édition du 20 avril 2020, que 7.649 personnes étaient décédées dans les établissements médico-sociaux, sans avoir été transférées dans un établissement de santé.

Le juge des référés a dû se demander s’il existe une pratique générale de refus d’admission en établissement de santé des personnes résidant en EHPAD.

Pour considérer que les personnes âgées résidant en EHPAD avaient le même droit d’accès aux établissements de santé et aux soins que toute autre personne, le juge s’appuie sur les diverses recommandations préconisant l‘hospitalisation des résidents en cas de symptômes graves de coronavirus.

Ces éléments d’appréciation théoriques ne suffisaient cependant pas à prouver l’accès effectif aux soins en établissement de santé des personnes résidant en EHPAD.

C’est la raison pour laquelle le juge a sollicité, lors de l’audience, des éléments chiffrés sur l’admission des personnes âgées résidant en EHPAD dans les structures hospitalières. Ces éléments qui ont été transmis après l’audience ( et qui ne figurent pas dans l’ordonnance), ont permis au juge d’apprécier la situation in concreto.

Au regard des chiffres produits par le Gouvernement, le juge a considéré qu’il n’était pas établie une pratique générale de refus d’admission de ces personnes en établissement de santé et en soins de réanimation.

Rappelons qu’en matière de référé, l’urgence commande que l’atteinte à une liberté fondamentale soit manifeste pour que le juge puisse mettre en œuvre ses pouvoirs d’injonction et d’astreinte.

 

Par ailleurs, les requérants faisaient également griefs à l’Etat de ne pas mettre à disposition des EHPAD les moyens nécessaires pour assurer des soins palliatifs.

 

3/ La spécificité des soins palliatifs

Les soins palliatifs visent à améliorer la fin de la vie du patient, en apaisant ses souffrances et en garantissant le respect de sa dignité (article L.1110-10 du code de la santé publique).

Ces soins ressortent du « care », c’est-à-dire des soins de base ; et non du « cure », i.e. soins thérapeutiques.

Une sédation profonde et continue, maintenue jusqu’au décès peut être mise en œuvre au titre des soins palliatifs (sur ce point, lire l’article « Le droit des personnes en fin de vie »)

Ces soins, qui sont essentiels en période de crise sanitaire, sont-ils pour autant accessibles à tous ?

L’article L.1110-9 du code de la santé publique dispose que « Toute personne malade dont l’état le requiert a le droit d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement. »

Afin de garantir un accès pour tous, les équipes d’HAD (hospitalisation à domicile), les équipes mobiles de soins palliatifs et les praticiens libéraux titulaires d’un diplôme de soins palliatifs sont autorisés à mettre en œuvre les soins palliatifs en EHPAD ou à domicile.

Si des moyens théoriques existent, la pratique est une toute autre réalité.

Le rapport d’évaluation de l’IGAS de Juillet 2019 du plan national 2015-2018 pour le développement des soins palliatifs et l’accompagnement en fin de vie, révèle qu’il existe encore de très grandes inégalités dans l’accès aux soins palliatifs sur le territoire national, mais aussi aux seins des EHPAD ou à domicile.

Le rapport de la Conférence régionale de la santé et de l’autonomie de la région Auvergne Rhône Alpes du 25 janvier 2018 notait une inégalité régionale, les Groupements Hospitalier de Territoire « Genevois Annecy Albanais », « Rhône Est Isère », « Cantal » et « Haute Loire » ne disposaient d’aucune Unité de soins palliatifs.

En l’espèce, dans l’ordonnance du 15 avril 2020, le Conseil a retenu qu’« il a été indiqué à l’audience de référé par les représentants du ministère des solidarités et de la santé qu’il existe encore, à ce stade, des marges de mobilisation possible des services d’hospitalisation à domicile et des équipes mobiles et/ou territoriales de soins palliatifs, y compris dans les régions où l’épidémie de covid-19 est la plus sévère. »

Mais qu’en est -il dans la réalité ?

Les dernières études, en particulier dans le cadre de notre région Auvergne Rhône Alpes, exposent au contraire que l’offre de soins palliatifs est loin d’être suffisante même en l’absence de crise sanitaire (Rapport de la Conférence régionale de la santé et de l’autonomie de la région Auvergne Rhône Alpes du 25 janvier 2018).

 

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Cette décision du Conseil d’Etat démontre ainsi les limites du référé-liberté.

Cette décision de rejet en matière de référé ne préjuge en aucun cas du fait que la responsabilité de l’Etat puisse être engagée lors d’une action ultérieure en responsabilité au fond.

L’atteinte aux droits des patients dans cette période de crise sanitaire fera certainement l’objet de nombreux contentieux.

L’Etat et les établissements de santé ne seront pas les seuls à voir leurs responsabilités engagées.

A un tout autre niveau, les entreprises et employeurs privés redoutent d’ores et déjà un recours sur le fondement de la faute inexcusable de la part de leurs salariés leur reprochant de ne pas avoir mis à leur disposition des équipements de protection individuelle.

Se retourneront -il contre l’Etat du fait de l’absence d’équipement disponible ?

Il semblerait par ailleurs que certains professionnels puissent bénéficier de la qualification de maladie professionnelle en cas d’atteinte par le Covid-19 (selon les annonces du Gouvernement).

Les contours de cette qualification restent à préciser. Cela conduira-t-il à des inégalités entre les catégories socio-professionnelles ?

Enfin qu’en est -il de la prise en charge des malades atteints d’autres pathologies dans ce contexte de crise sanitaire ?

On ne peut que redouter l’augmentation des retards de prise en charge et de diagnostic.

Ces questions devront être étudiées au cas par cas, en fonction de la situation de chaque victime.

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Le cabinet de Maître FINET, fort de ses 16 ans d’expérience dans la protection des droits des victimes, et particulièrement en matière de responsabilité médicale, reste à votre disposition toute consultation spécialisée.